L'IMPLANTATION DE PARTICULES OSSEUSES DÉMINÉRALISÉES DANS LE KYSTE OSSEUX ANÉVRYSMAL


Le kyste osseux anévrysmal  (KOA) est une lésion bénigne de l'os qui est probablement réactionnelle. L'évolution de cette tumeur est souvent rapide, soufflant les contours de l'os (figure 1, 2). Le KOA peut être un réel défi thérapeutique lorsqu'il se présente comme un foyer de lyse osseuse très agressif (figure 2)  ou de localisation difficile comme au niveau du bassin (figure 3). C'est un autre défi que de prévoir son comportement biologique. Tantôt il s'expanse rapidement en soufflant l'os qu'il fait disparaître tantôt son évolution reste modérée, s'arrêtant rapidement de croître et finit par s'ossifier.
 Fig 1 : KOA de la fibula distale : aspect radiologique et IRM.

2a

2 b
Fig 2A : ostéolyse quasiment complète de la métaphyse distale de la fibula.Fig 2B : volumineux KOA entraînant une lyse quasiment complète du calcanéus
 Fig 3 : volumineux KOA de localisation sacrée

Pathogénie
KAO primitif
Un stimulus d'origine indéterminée entraîne des modifications hémodynamiques locales dans l'os [1, 2]. La réaction de l'os provoque une dystrophie osseuse contenant des collections sanguines baignant un stroma très cellulaire et non néoplasique.
KAO secondaire
Dans environ 30% des cas, le KOA est secondaire à une lésion préexistante telle un ostéoblastome, un chondroblastome, une tumeur à cellules géantes ou encore à un ostéosarcome [1, 3].

Histoire naturelle du KOA (figure 4)
Le KAO apparaît comme une plage d'ostéolyse à bords nets associée ou non à une zone perméative en fonction de son agressivité. Si il poursuit son expansion, le kyste s'excentre, érode la corticale et ne laisse qu’une fine membrane périostée convexe, refoulant les tissus mous qu'il respecte (figure 1). Un triangle de Codman, aspécifique peut être observé (figure 2A). Lorsque le kyste n'évolue plus, cette membrane s'ossifie et souligne le contour kystique (figure 1). Avec un temps très variable d'une lésion à l'autre, les septa s'ossifient lui donnant un aspect réticulé (figure 5). L'ossification mature avec le temps et signe la guérison. Elle fige définitivement l'expansion maximale du kyste.
 Fig 4 : 4 stades de maturation du KOA : de gauche à droite : phase initiale lytique; phase de croissance active (difficile à différencier d’une lésion maligne); phase de stabilisation (avec membrane périphérique osseuse et septa internes); phase de guérison. D'après Malghem et al.4
 Fig 5 : aspect de KOA en phase de guérison avec des septa ossifiés.

Diagnostic
La tomodensitométrie (figure 6) et la résonance magnétique (figure 7) sont très utiles pour retrouver des niveaux liquide-liquide (patient au repos pendant une dizaine de minutes) qui représentent la sédimentation des hématies, séparées du sérum. Ces niveaux sont aspécifiques pouvant être retrouvés dans la tumeur à cellules géantes, le chondroblastome ou l'ostéosarcome télangiectasique. La résonance montre mieux le contenu kystique. La présence d'une zone non kystique, charnue doit faire suspecter un KAO secondaire (figure 8).
Fig 6 : CT Scan montrant une KOA de la branche ilio-pubienne.
 Fig 7 : IRM du fémur distal (patient en décubitus dorsal). Des niveaux liquide-liquide sont visibles.
 Fig 8 : exemple de kyste anévrysmal secondaire : ostéosarcome télangiectasique.

Comment est venue l'idée de ce nouveau type de traitement ?
L'histoire naturelle de cette lésion est mal connue. Le traitement “classique” reste encore le curetage et la greffe, une fois le diagnostic bien établi.
Ce sont les radiologues de notre hôpital, les professeurs Malghem et Maldague qui nous ont mis la puce à l'oreille : l'histoire naturelle du KOA se termine par l'ossification de son contenu (figure 4). En 1989, ils rapportent une ossification spontanée de 3 KOA dont le diagnostic radiologique ne posait aucun problème et dont la localisation n'imposait pas un geste chirurgical [4]. Suivis régulièrement, ces trois KOA se sont ossifiés après 8 mois d'évolution en moyenne. De plus, il était aussi connu qu'une biopsie pouvait entraîner la maturation de la lésion vers l'ossification [5-7].
La constatation d'une ostéogenèse débutante dans les septa de plusieurs biopsies de KAO (figure 9) primitives associée aux observations précédentes nous ont suggéré que ces lésions primitives avaient le potentiel intrinsèque nécessaire d'une ossification spontanée et donc un pouvoir de guérison intrinsèque.
Un nouveau concept…
Puisque les cellules stromales du kyste sont capables d'ostéogenèse, il suffirait d'introduire un ostéoinducteur dans celui-ci pour pouvoir espérer avorter la phase de croissance active (de résorption) et induire la phase de stabilisation (d’ostéogenèse) : "on inverse la vapeur". Pour obtenir un tel effet d'induction, les cellules du kyste doivent rester en place car ce sont elles qui vont provoquer l'ossification. Il ne faut donc plus cureter la tumeur mais bien la laisser en place ! C'est là le nouveau concept par rapport aux pratiques actuelles: éviter le curetage du kyste et placer une amorce d'ostéogenèse. 
 Fig 9 : coupe histologique d’un kyste anévrysmal montrant les lacs sanguins entourés d’une membrane et séparés par des cloisons. Les cloisons sont constituées de fibroblastes, de cellules géantes. Du tissu osseux ostéoïde peut être retrouvé dans les cloisons témoignant du processus de réparation.

Comment je traite…
La biopsie d'abord !
Toute suspicion d'un kyste anévrysmal doit faire l'objet d'une biopsie. Le piège diagnostique est de confondre un KAO avec un ostéosarcome dans sa variante télangiectasique (figure 8). C'est une erreur redoutable et l'adage "Pas de traitement sans biopsie" prend ici toute sa valeur.
Elle se réalise soit à l'aiguille soit à ciel ouvert. Si le kyste n'est pas trop évolutif, on peut attendre pendant 6 à 8 semaines pour s'assurer que le kyste ne commence pas son ossification réparatrice. Cette éventualité reste rare mais doit être recherchée.
Technique chirurgicale :
1) Trépanation (figure 10) Une fenêtre est réalisée dans le kyste. Un échantillon est reprélevé afin de faire la place à l'amorce.
2) Préparation de l'inducteur 5g de poudre d'os partiellement déminéralisée (figure 11) sont versés dans une cupule métallique (figure 12). 5cc de moelle osseuse sont ensuite aspirés de la crête iliaque antérieure du patient (figure 13). Le mélange se fait à la spatule jusqu'à obtenir une pâte grumeleuse et humide (figure 14). Celle-ci est versée dans une seringue dont le nez a été coupé avec la pointe de lame d'un bistouri et dont le piston a été préalablement retiré. Le piston est ensuite réintroduit lorsque le corps de la seringue est rempli (figure 15).
3) Introduction de l’inducteur. Une ou plusieurs seringues sont ainsi introduites dans le kyste sans aucun curetage préalable (figure 16). Si la trépanation avait été hémorragique, elle se tarit dès l'introduction de cette pâte. Environ 30% du volume du kyste peut être occupé par cette amorce ostéoinductrice. Le couvercle de la trépanation est reposé ou à défaut une éponge hémostatique sert de couvercle pour la fermeture.

 Fig 10 : une fenêtre est réalisée dans la paroi du kyste
 Fig 11 : la poudre d’os déminéralisée conservée stérilement dans un flacon en verre
 Fig 12 : la poudre d’os déminéralisée
dans le récipient
métallique
 Fig 13 : la moelle osseuse est aspirée au niveau de la crête iliaque antérieure
 Fig 14 : la moelle osseuse et la poudre d’os déminéralisée sont mélangées pour obtenir une pâte grumeleuse
 Fig 15 : la pâte est introduite dans une seringue dont le nez a été coupé
 Fig 16 : le contenu de la seringue est introduit dans le KOA par la fenêtre réalisée dans la paroi du kyste

Evolution après traitement
Il faut entre 8 et 12 semaines pour observer l'ossification de la membrane périostée. Elle signe alors l'évolution vers la stabilisation (figure 17, 18).
En cas d'échec, on assiste à la résorption de l'amorce par la lyse évolutive et l'absence d'une membrane d'ossification périphérique.
 Fig 17 : Patiente âgée de 20 ans avec un KOA très agressif de la branche ilio-pubienne. Une embolisation et un curetage-greffe avait échoué 4 mois avant notre procédure.
A. Radiographie préopératoire : KOA agressif avec
triangles de Codman et extension dans les tissues mous.
B. Après 6 ans d’évolution : aspect en bulle de savon.
La lésion est devenue stable radiographiquement.
C. L’IRM pondération T à 6 ans d’évolution montre la persistence de quelques cavités kystiques résiduelles latentes avec predominance de signal graisseux.
 Fig 18 : Fillette âgée de 11 ans avec KOA diaphysaire  du radius. Evolution radiologique depuis la radiographie préopératoire : volumineux KOA (56 mm X 32 mm) jusqu’à la guérison (guérison avec quelques cavités kystiques résiduelles).

Série de patients
Notre série comporte 13 KOA prouvés par biopsie traités selon notre méthode et suivis durant plus de 2 ans. Il s’agissait de 3 patients de sexe masculin et 10 de sexe féminin avec un âge moyen lors de la procédure de 16,6 ans (extrêmes de 8 à 28 ans). Six lésions étaient localisées dans les os longs (2 fémurs distaux, 2 tibias distaux, 1 fibula distale, 1radius diaphysaire), cinq autres étaient situées dans le bassin (3 branches ilio-pubiennes, 2 crêtes iliaques), les 2 dernières entreprenaient la glène de l’omoplate et le calcanéum. Neuf lésions étaient agressives selon la classification de Campanacci [5], avec des triangles de Codman et une extension dans les tissus mous tandis que les quatre autres étaient actives. Tous les patients étaient douloureux et sept présentaient une masse palpable.
Sur les 13 patients, 8 avaient déjà été traités auparavant et avaient récidivés. Trois avaient subi un curetage-greffe et un quatrième à 2 reprises. Deux autres avaient subi une embolisation préopératoire suivie d’un curetage-greffe et un septième à 2 reprises. Le dernier patient avait reçu 14 injections de stéroïdes, ce qui avait fait flamber le KOA puis une embolisation.
Résultats
La perte sanguine peropératoire fut inférieure à 100 ml dans tous les cas. Aucun patient ne présenta de symptômes d’embolie pulmonaire, ni de fièvre postopératoire, ni même de douleurs aigues importantes d’allure inflammatoire dans la période postopératoire.
Le suivi moyen a été de 3,9 ans. La guérison a été obtenue chez 11 patients [8] sur les 13 de la série.
Seulement 2 patients récidivèrent. Le premier signe de la récidive fut une résorption progressive de la pâte insérée dans le kyste. L’absence d’apparition de coque périostée périphérique au 3ème mois postopératoire permit de confirmer la récidive.
Conclusions
Cette méthode mini-invasive est capable de promouvoir la guérison spontanée du KOA. Aucun curetage n’est nécessaire, ce qui évite une chirurgie extensive et une perte de sang importante. Cette technique est aussi le traitement de choix lorsque la lésion est peu accessible chirurgicalement comme par exemple au niveau du pelvis.


Bibliographie
1. Mirra MJ. Aneurysmal bone cyst. In: Mirra MJ, Picci P, Gold RH (Eds). Bone tumors: clinical, radiologic and pathologic correlations. Philadelphia: Lea and Febiger ; 1989, pp 1267-307.
2. Marcove RC, Sheth DS, Takemoto S, Healey JH. The treatment of aneurysmal bone cyst. Clin Orthop 1995;311:157 -63.
3. Leithner A, Windhager R, Lang S, Haas OA, Kainberger F, Kotz R. Aneurysmal bone cyst. A population based epidemiologic study and literature review. Clin Orthop 1999;363:176 –9.
4. Malghem J, Maldague B, Esselinckx W, Noel H, De Nayer P, Vincent A. Spontaneous healing of aneurysmal bone cysts. A report of three cases. J Bone Joint Surg Br.1989; 71:645 -50.
5. Campanacci M, Capanna R, Picci P. Unicameral and aneurysmal bone cysts. Clin Orthop 1986; 204:25 -36.
6. McQueen MM, Chalmers J, Smith GD. Spontaneous healing of aneurysmal bone cysts. A report of two cases. J Bone Joint Surg Br. 1985;67:310 -2.
7.  Scott I, Connell DG, Duncan CP. Regression of aneurysmal bone cyst following open biopsy. Can Assoc Radiol J. 1986;37:198 –200.
8. Docquier PL, Delloye C. Treatment of aneurismal bone cysts by introduction of demineralized bone and autogenous bone marrow. J Bone Joint Surg. 2005; 87-A:2253-2258.



sources: http://www.maitrise-orthop.com

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